En ce jeudi après-midi Antoine et Marie se retrouvent à la
fameuse librairie, véritable sanctuaire du livre, caverne d’Ali Baba aux
multiples recoins recelant chacun des surprises livresques émerveillant
les yeux, les mains et l’esprit: vitrine à thèmes et diversifiée, nouveautés,
œuvres complètes, romans de tous les pays, documentation sur une large palette
de sujets qui concernent les étudiants avides de connaissances et de
découvertes que nous sommes, et, bien sûr, ce qui nous intéresse plus directement :
des albums.
Grands ou petits, sobres ou bigarrés, purement imagés ou
déjà chargés d’un texte consistant, contes et autres proverbes parfois
mystérieux ou petites histoires drôles ancrées dans le quotidien, et même
quelques documentaires, et cela pour tous les âges, niveaux de lecture et
centres d’intérêt. On ne sait plus où donner de la tête dans cette bulle
extraordinaire, au milieu de tous ces beaux ouvrages, au sein de cette
véritable Autre Rive qui éloigne du
monde pour la durée du moment passé à l’intérieur, aussi avec une mine réjouie
que les enfants pour qui cet atelier est né!
Mais il s’agit de trouver le livre, car le temps est compté ; oui, le livre, celui qui saura retenir leur attention, raconter quelque
chose de drôle, d’intéressant ou de poétique, mais d’accessible aussi, qui ne
soit pas trop long pour qu’ils ne s’impatientent pas, mais pas trop court ou
trop simpliste, ce qui serait frustrant, aussi bien pour les spectateurs que
pour les conteurs. Après quelques hésitations et tergiversations (même si à
deux ça simplifie les choses), les deux compères choisissent un grand livre
coloré avec de belles illustrations dans lequel une petite fille présente sa
famille sous la forme… d’animaux. Ils décident de le prendre et s’en vont
tranquillement vers l’arrêt de bus.
Deux bus plus tard… ils grimpent dans le bon bus et sont rejoints par Bénédicte.
Sur le trajet ils discutent : comment animer la séance pour que ce ne soit
pas une lecture banale ? Quelques idées sont proposées ; on décide de
créer un geste correspondant à chaque animal pour faire retenir l’histoire aux
enfants et pour canaliser leur énergie souvent débordante.
Arrivée à l’école : les enfants goûtent encore. Les
trois conteurs installent la salle, font le point sur les emprunts de livres et
commencent l’atelier dès que les enfants apparaissent. Ceux-ci ne sont pas trop
nombreux (ce qui facilite la gestion), mais assez pour que l’atelier reste
intéressant.
La plupart sont des habitués. Déjà ils veulent mieux voir,
toucher le livre, tourner les pages pour connaître l’histoire avant les autres,
regarder les images de plus près. Certains ne veulent pas faire les gestes.
Tant pis, l’histoire continue, ils ne sont obligés à rien. Chaque personnalité
réagit. Que connaissent-ils sur tel ou tel animal ? Interventions diverses
qui informent sur ce que savent les enfants. Deux d’entre eux s’isolent et
regardent l’alphabet avec les animaux. On essaie de faire deviner de quel
animal il s’agit à chaque lettre. Certaines sont difficiles : « Là
c’est un wapiti, un cerf d’Amérique du Nord. » Cela semble un peu lointain
et abstrait à la fillette qui s’en désintéresse.
Après l’histoire, des enfants partent, sans oublier, pour la
plupart, d’emprunter un livre ; des parents viennent les chercher et
repartent aussitôt. Les enfants qui restent, devenus peu nombreux, demandent à
ce qu’on leur lise une histoire individuellement. Une maîtresse passe et
dit : « Des parents m’ont rendu ces trois livres, mais je crois
qu’ils sont à votre atelier ! ». Une maman arrive. « Allez, il
faut partir maintenant, on rentre à la maison, tu viens ? » dit-elle
à sa fille, puis elle ajoute :
« Vous savez, je ne sais pas
si elle peut prendre un livre, on en a déjà quatre à la maison et chaque
jeudi j’oublie de venir vous les rendre.
- -
Ça ne fait rien, elle peut
en emprunter si elle en a envie. Avez-vous déjà pu tous les lire?
- - Oh oui, on les a lus »
dit-elle avec un regard entendu.
Mère et fille repartent. Les derniers font de même à
quelques minutes d’intervalle. L’atelier est terminé.
La salle est vite remise en place et Bénédicte, Antoine et
Marie repartent, un peu fatigués mais contents. Sur le trajet du retour ils
échangent leurs impressions.
« Alors, Antoine, rappelle-moi qui sont les membres de
la famille et quel geste va avec chacun d’eux », exige Marie avec un grand
sourire. Antoine s’exécute, très sérieux, et chacun participe à reconstituer
l’histoire.
« Allez, moi je descends à cet arrêt. À la
prochaine ! »